Megaupload : le point sur la première "cyber-guerre" de 2012, quelle technologie voyez-vous succéder au DDL et au streaming ?En collaboration avec Gordon FowlerAprès cette semaine mouvementée une synthèse s'impose pour bien comprendre les enjeux des actions engagées par les Majors et la réaction de tous les Acteurs du net.
Le
20 Septembre 2010 Patrick Leahy soumet le projet de loi COICA à la chambre des représentants des Etats-Unis.
Ce projet, soutenu par plusieurs lobbyistes mais dénoncé par diverses entreprises et associations, a été accepté le 18 Novembre 2010 par le Sénat Américain avec 19 voix pour et 0 contre. Peu de temps après le sénateur Ron Wyden s'oppose à ce projet de loi et obtient qu'une nouvelle assemblée se penche sur le dossier.
Ron Wyden a écrit:Il me semble que les violations de copyright en ligne est un problème légitime, mais il me semble également que COICA est un mauvais médicament. Appliquer cette loi pour combattre les violations de copyright en ligne équivaut à utiliser une bombe à fragmentation sur un bunker au lieu d'utiliser un missile à guidage précis. Les dommages collatéraux de cette loi pourraient êtres l'innovation, le travail et la sécurité de l'Internet.
Finalement le projet de loi COICA est réécrit par Patrick Leahy, toujours soutenu par les lobbyistes des ayants-droit, et créera par la suite le projet de loi PIPA.
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12 Mai 2011 Patrick Leahy soumet son projet baptisé PIPA, nouvelle version de la loi COICA, au Sénat qui, après validation, l'a déposé auprès de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Le vote de ce projet de loi a été ajouté à l'ordre du jour du 24 Janvier 2012.
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26 Octobre 2011 Lamar S. Smith soumet le projet de loi SOPA à la chambre des représentants des Etats-Unis.
SOPA et PIPA sont deux projets similaires mais soumis à deux organismes indépendants différents. Ainsi si l'un ou l'autre se voyait refusé, il aurait été possible aux lobbyistes de faire pression de tout leur poids sur le second organisme. La loi américaine prévoit que deux projets similaires peuvent être soumis sans qu'ils soient regroupés en un seul projet de loi.
Le
15 décembre 2011 la liste des entreprises soutenant le SOPA a été publiée. La semaine suivante le boycott de l’hébergeur GoDaddy est organisé. GoDaddy s'est ainsi vu retirer l'hébergement de Wikipédia et a changé d'opinion après avoir perdu pas moins de 82.000 noms de domaines. Malgré ce revirement, le boycott se poursuit sur
http://godaddyboycott.org.
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18 Janvier 2012 un blackout est suivi par les plus grands acteurs du web pour signifier leur opposition aux lois SOPA & PIPA. Parmi ces sites nous retrouvons Reddit, Google, Wikipedia ou encore en France le blog de Korben.
C'est dans ce contexte tendu que le
19 Janvier 2012 le site Megaupload est fermé par la justice Américaine. Les serveurs situés en Virginie sont saisis et la police néo-zélandaise arrête Kim Schmitz (Kim DotCom) fondateur du service d'hébergement et d'échange.
Certains doutes sur la légitimité de cette fermeture ont été émis par TorrenFreak. Selon leurs informations,
un nouveau site, nommé MegaBox, aurait été lancé courant 2012 si la justice Américaine n'avait pas démantelé l'entreprise de Kim Schmitz.
Ce site, MegaBox, aurait été pensé pour proposer un modèle économique alternatif à celui des Majors ou Apple (iTunes). Ce modèle s'appuierait sur une rétribution des artistes à hauteur de 90% du montant des ventes, ce qui aurait fait entrer la MegaSphère dans la MiniSphère des producteurs/vendeurs légaux de contenus culturels.
Pour enfoncer le clou, les téléchargements gratuits à partir de MegaUpload auraient eux aussi généré des revenus pour les artistes en utilisant un nouveau système MegaClick, la régie publicitaire de MegaUpload, nommé MegaKey.
Le concept consistait à installer un logiciel remplaçant une partie des publicités vues par l'internaute par des publicités ciblées. Ce système aurait été en phase de bêta test au moment de la fermeture et se serait révélé très prometteur d'après plusieurs partenaires et différents artistes désireux de ne plus faire partie du modèle économique des Majors.
Le
19 Janvier 2012 quelques heures après l'annonce de la fermeture de Megaupload le collectif d'hacktivistes "Anonymous" lance l'opération #OpMegaUpload et s'attaque directement aux institutions gouvernementales et lobbyistes qui ont conduit à la chute du service.
En France, le Président Nicolas Sarkozy fait un communiqué ou il approuve et se félicite de la fermeture de Megaupload. Ce communiqué a suffi à attirer les foudres du collectif qui s'en est pris directement au site de l'Elysée et de l'HADOPI ainsi qu'a une multitude d'autres sites gouvernementaux.
Le
20 Janvier 2012 Harry Reid fait une annonce sur twitter suivie d'une interview publiée par le New York Times.
Harry Reid a écrit:À la lumière des récents événements, j'ai décidé de reporter le vote de mardi sur la loi PIPA
Peu de temps après, le vote de la loi SOPA est reporté. Le blackout a réussi à faire bouger les choses. Enfin presque. Beaucoup se sont réjouis de l'abandon des projets PIPA & SOPA. Or rappelons que ces votes ne sont que
reportés en vue d'un réexamen.
Entretemps le projet ACTA, un SOPA & PIPA "en pire", fait son bonhomme de chemin.
Le
26 Janvier 2012 les plus grandes puissances économiques et politiques signent en faveur de l' ACTA. Ce projet vise à créer une nouvelle instance juridique internationale qui outrepasserait l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Cet accord permettrait aux lobbyistes de faire condamner un pays pour "l'utilisation de contrefaçons".
Les médicaments génériques deviennent des contrefaçons et l'exemple qui en découle est consternant. Le laboratoire Novartis (Suisse) veut interdire un médicament générique qui lui fait concurrence dans le domaine de la lutte contre le cancer. Un malade devrait donc, selon ce laboratoire, débourser 2500€ pour son traitement au lieu des 150€ pour le médicament générique. La préconisation de l'OMC sur ce dossier a toujours été de faire passer les vies humaines avant les intérêts financiers des lobbyistes. Avec ACTA cela risque de ne plus être le cas.
Autre préoccupation,
la neutralité du web risque d'être compromise. Le projet va même à l'encontre de récentes décisions de la Cour de Justice Européenne qui s'est opposée au filtrage d'Internet.
L'ACTA rend les FAI responsables de ce que font leurs clients, les oblige à divulguer les informations liées à ces clients et à restreindre les outils de protection de la confidentialité. Pour faire simple, si un FAI veut être en conformité avec ACTA, les internautes ne devront plus utiliser de moyen de protection comme le chiffrement. Le plus éffarant étant que les Douaniers auront la possibilité d'inspecter le contenu des appareils numériques qui sont actuellement protégés par les lois sur la propriété privée.
Le
26 Janvier 2012 le parlement Polonais affiche son opposition à la signature d'ACTA. Après plusieurs jours de mobilisation et de manifestation du peuple Polonais, le masque de Guy Fawkes s'invite au parlement sur les visages des députés. Cette image insolite est un message envoyé aux défenseurs des libertés.
deputés-polonais-anonymous.jpg
Pour finir cette synthèse j'ai fait appel à Oliver Laurelli (@Bluetouff) qui nous donne son avis sur ce qui s'est passé et sur l'avenir qui se profile :
Bluetouff a écrit:Nous sommes à une époque charnière où nous devons décider si la propriété intellectuelle va changer Internet, ou si Internet va changer la propriété intellectuelle.
Si les pros copyright s'orientent vers une censure de nœuds du réseau, le réseau pourrait tout à fait lui répondre en décidant de ne plus acheminer ses contenus, légalement ou illégalement. La culture en général n'a pas besoin des majors, c'est leur plus grossière erreur que de penser qu'elles sont indispensables. La richesse du Net, c'est les Internautes, pas les producteurs hollywoodiens.
Cette escalade est dangereuse, mais après les offensives multiples (DMCA, ACTA, PIPA, SOPA, iPred, HADOPI, DADVSI...) qui sont autant d'agressions du réseau, il fallait bien s'attendre à une levée de bouclier massive. La nature du réseau Internet fait que plus le temps passe, plus l'opposition à ces lois liberticides sera grande. Si Internet joue le calendrier, il s'assure la victoire et c'est peut être ce qui explique aujourd'hui les offensives multiples et violentes des pro copyright.
Cette affaire pose également, et à nouveau, la question de l'efficacité des mesures techniques pour lutter contre le piratage.
Une simple extension de Firefox avait déjà mis à mal des mesures de filtrage imposées par les ayants-droit.
Cette fois-ci, en portant un coup frontal au téléchargement direct (ou DDL pour "Direct Download") et au streaming, on peut penser que d'autres technologies, aujourd'hui confidentielles, vont connaitre leur heure de gloire.
La question n'est pas de savoir si cela sera effectivement le cas, mais lequel de ces outils prendra la succession dans les usages grand public. VPN ? Retour en force des Newsgroups ? Démocratisation des réseaux TOR, Freenet et I2P ? Montée en puissance des clients P2P chiffrés (genre StealthNet, Oneswarm ou MUTE), ou échange sur des réseaux privés (comme Retroshare) ? Les outils ne manquent pas.
Bref, il y a fort à parier qu'avec toutes ces possibilités, le téléchargement continuera sous bien d'autres formes. Car comme le disait Montesquieu en entamant
le chapitre XIV de l'"Esprit des Loix" :
Nous avons dit que les lois étaient des institutions particulières et précises du législateur, et les mœurs et les manières des institutions de sa nation en général. De là il suit que, lorsqu'on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois ; cela paraîtrait trop tyrannique : il vaut mieux les changer par d'autres mœurs et d'autres manières.
Mais les ayants-droit et les lobbyistes lisent-ils encore Montesquieu ?
De l'Esprit des Lois.jpg
Et vous ?D'après vous, quels outils vont prendre le relais du téléchargement direct et du streaming ?
Pensez-vous qu'une réponse législative et technologique à un problème de société est possible ? Ou, comme Montesquieu, qu'il faut changer "l'esprit" avant "les lois" ?
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