La Presse du lundi 21 avril 2003 a écrit:Football
Equipe nationale
Le beau et le faux !
Plus de passion, moins de contraintes. A long terme, il n’est plus, en effet, possible de gagner et de durer si la qualité du jeu est absente. Pour réaliser de bonnes performances, il faut jouer et si on tient à être compétitif, il va falloir évoluer dans cette dimension. C’est-à-dire comprendre qu’on a besoin de jouer…
Roger Lemerre pense déjà au prochain match contre le Sénégal. Il pense certainement à la manière qui permettra à son équipe de rester sur la même lancée, de confirmer ses progrès, mais surtout de se faire un style de jeu propre, un cachet personnel et une véritable personnalité sur le terrain.
L’équipe de Tunisie a besoin, forcément dès maintenant, de se décomplexer vis-à-vis de ses adversaires africains, d’éliminer certains préjugés et d’avoir, pourquoi pas, une bonne place parmi l’élite. Il n’y a pas trente-six mille façons pour qu’elle puisse justement se doter d’un nouveau statut, de nouvelles prérogatives et d’une marge de manœuvre différente de celle à laquelle elle était habituée. A travers ce qu’elle laisse déjà comprendre, ce qu’elle ne cesse d’entrevoir et ce qu’elle donne de plus en plus l’impression d’assumer, la sélection tunisienne a besoin de se mettre, de se sentir en confiance. Par rapport certainement à ses adversaires, mais aussi et surtout vis-à-vis de son environnement, de son entourage et dans toute l’ambiance qui devrait l’entourer.
Il n’est point difficile de le deviner : l’envie de vivre de nouvelles sensations, de déclencher un mode de comportement différent et de favoriser un genre d’épanouissement autre que celui d’un temps qu’on espère révolu se fait de plus en plus pressante. Elle répond à un besoin. Elle traduit une urgence. Cela fait certainement partie d’une dynamique d’évolution qui puise sa raison d’être dans les convictions du sélectionneur, dans ses réflexions et surtout dans ses prises de position. Sans aucune exagération, nous pensons que l’équipe de Tunisie vit actuellement l’un de ses moments les plus forts et peut-être aussi le plus déterminant pour l’avenir.
Il fallait certainement que cela arrive un jour ou l’autre. C’est une évidence. Mais encore faut-il qu’on puisse trouver le contexte le plus favorable, le plus adéquat. Des générations sont passées. Des hommes et dernière eux des options et des positions différentes. Pour arriver finalement à quel stade d’évolution? A quelle vocation? On ne saurait le dire, on ne saurait le préciser, tellement les cartes étaient brouillées, tellement il y avait de la confusion dans les objectifs, de la dispersion dans les ambitions. Il fut un temps où l’équipe de Tunisie n’avait tout simplement besoin que d’un peu de clairvoyance et de transparence dans ses choix et dans ses options. Il fallait digérer tout cela. Presque dix ans après la CAN 94, personne n’a évidemment oublié. Pas facilement justement d’ouvrir la boîte à souvenirs sans se trouver tout de suite submergé par un sentiment de frustration et de gâchis. Il fallait certainement une réponse, une explication à tout ce qui s’était passé en 1994. A tout ce qui avait provoqué un tel échec. Mais la réponse ne pouvait tarder, ne pouvait être ignorée. Pour gagner à haut niveau, il faut avant tout un grand mental. Et pour progresser, il faut oser. Pareilles appréciations ne peuvent être étrangères à un entraîneur de la trempe de Lemerre. Il sait que pour réussir, pour avoir la conscience tranquille, il ne peut avoir d’autre choix, d’autre alternative que la nécessité de favoriser et d’assurer le meilleur contexte qui devrait justement permettre à son équipe de bien s’exprimer. De s’épanouir là où elle serait appelée à évoluer. En un mot, de jouer, avec tout ce que le terme comporte d’exigences et de priorités. Ce qui devrait compter le plus, indépendamment des considérations particulières ou générales, c’est l’utilisation du ballon. Quand on pense que pendant de longues années, on n’a pas cessé de nous faire amuser par des clichés qui ne faisaient que dénaturer les véritables principes du jeu, de transformer le terrain en un «champ de bataille» et de nous éloigner de la réalité du foot. Quand on pense à ces hommes pour qui le football n’a désormais de sens qu’à travers l’opposée de sa vocation initiale. Quand on voit enfin les priorités et les exigences d’aujourd’hui, celles qui définissent et qui déterminent un joueur exclusivement à travers ses capacités défensives, l’on se dit que quelque part Roger Lemerre nous réconcilie avec un temps et une époque qu’on croyait pourtant révolus à jamais. Quel soulagement! Celui qui avait dit un jour, on ne se souvient plus de son nom, qu’à long terme, il n’est pas possible de gagner et de durer si la qualité du jeu est absente, savait parfaitement que le football, le vrai, finira par survivre et par prendre sa revanche. En effet, pour réaliser de bonnes performances, il faut jouer et si on tient à être compétitif, il va falloir évoluer dans cette dimension. C’est-à-dire comprendre qu’on a besoin de jouer.
On se mélange les pinceaux !
L’utilisation du ballon est quelque chose de très significatif. Autant elle répond à un besoin d’imagination et de créativité, autant elle dévoile les capacités des uns et des autres. Il fut un temps où la mode était au jeu sans ballon. Que de joueurs étrangers, de par leur formation ou encore leur vocation se faisaient un nom, parfois même une carrière, tout simplement parce qu’il bougent trop sur le terrain. Messieurs sans ballon nous rappelaient une époque triste et frustrante. Surtout pour ceux qui considéraient que le football est tout d’abord un jeu, un spectacle. Les réflexions et les réactions instantanées d’Albert Batteux, l’un des plus grands entraîneurs qui avaient marqué et influencé le football français, notamment à travers ses passages à Reims et à Saint-Etienne, résonnent encore très fort. A tous ceux qui l’agaçaient en vantant les qualités de tel ou tel joueur ne sachant faire sur le terrain que jouer sans ballon, il eut la délicatesse de rétorquer : «Et avec le ballon que savez-vous faire»…».
Peut-on mieux dire? Peut-on mieux répondre à tous ceux-là? On ne saurait être plus expressif, plus convaincant. Batteux, décédé, il y a quelque temps, avait la magie du verbe, du mot. Sa passion pour le foot, notre passion et celle de tous les puristes ne peuvent admettre autant de dénaturation autant de jugements insensés! Un footballeur, c’est un enfant qui invente. Si on lui enlève sa spontanéité, et aussi son improvisation, il n’aura plus de raison d’être. Allez savoir pourquoi Bouazizi, d’habitude emporté vers les duels que sur le ballon, se mettait-il d’un coup à tirer et à tenter sa chance dans un endroit et dans une phase qui n’avaient pourtant pas réussi à des joueurs considérés plus offensifs, et plus entreprenants dans ce contexte que lui. Quelque part, la spontanéité, l’instinct du jeu l’avaient emporté sur le comportement stéréotypé et les consignes tactiques souvent frustrantes… Cela ne nous empêche pas toutefois de nous poser, du reste légitimement, beaucoup de questions tout en sachant que si l’on peut se tromper sur une appréciation, un jugement, on n’a pas cependant le droit de se tromper à tous les niveaux. Est-ce que ce sont les systèmes qui font qu’on joue plus sur le terrain, ou qu’on joue moins? Vaste question à laquelle chacun peut renvoyer la réponse qui s’identifie le plus et le mieux à ses convictions et à ses conceptions personnelles. On se mélange les pinceaux. Le constat est évident. Il n’est point trompeur. Mais au-delà de toute considération, ne serait-il pas mieux de réussir à entretenir la passion? Celle-ci se sera chargée de recycler les principaux acteurs dans un inclassable rôle de joueurs bons à tout bien faire. Plus de passions, moins de contraintes. Le football ne sera ainsi que beau, parce que utilisé à sa juste valeur, loin des comportements «robotisés» et des choix économiques qui dictent de plus en plus les carrières et qui conditionnent les parcours. Que ses paroles ne soient plus entendues comme une langue étrangère. Que ses principes ne soient pas dénaturés et transformés en pause alibis. Que la passion retrouve son règne et que le regard des autres puisse enfin changer!
Jalel MESTIRI